Cartographie des cours d’eau: prétexte à de nouvelles atteintes aux milieux aquatiques?

La cartographie des cours d’eau est-elle un prétexte à de nouvelles atteintes aux milieux aquatiques ?

Communiqué de presse et texte explicatif de Mickaël Prochàzka, ancien membre de l’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux aquatiques).

Communiqué de presse sur ce sujet: Comm Presse Carto cours d’eau

A l’heure où le gouvernement, au travers de la DREAL, organise le recensement et la cartographie des cours d’eau en France, la question se pose. Alors même que la Loi sur l’eau sensée assurer un minimum de protection des milieux aquatiques est régulièrement détricotée, que les services de l’état chargés de la faire appliquer ont toujours moins de moyens, la cartographie des cours d’eau risque tout simplement d’exclure du cadre de la loi tous les cours d’eau ou « écoulements » qui n’auront pas été recensés et donc en 1er lieu tous les petits ruisseaux de tête de bassin techniquement difficiles à inventorier surtout dans le laps de temps imparti. Et comme on le sait ces petits ruisseaux, parfois temporaires, souvent au sein de zones humides pas toujours reconnues, font partie d’écosystèmes qui jouent le rôle de filtre et de stockage de l’eau, indispensables à la prévention des crues et à la préservation de la ressource en eau.

 

Mickaël Prochàzka, ancien membre de l’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques), participe, pour le monde associatif et notamment le Collectif SOS LRC, à la consultation de l’état sur la cartographie des cours d’eau, il nous livre son sentiment à ce sujet. Il en profite pour nous rappeler ici les grands principes de la Loi sur L’Eau et les multiples atteintes qu’elle a subi, la cartographie des cours d’eau n’étant qu’une étape de plus dans ce processus de dégradation de la Loi sur l’Eau sous la pression de lobbies, essentiellement agricole intensiviste dans le cas de la cartographie.

Pour ceux qui veulent approfondir le sujet vous trouverez donc dans ce beau texte complet :

  • des rappels sur la Loi sur l’Eau
  • les limites de la loi actuelle qui permet déjà des atteintes importantes aux milieux aquatiques
  • les enjeux de la consultation sur la cartographie

 

Merci à Mickaël pour cette contribution des plus intéressantes sur la philosophie de Loi sur l’Eau et la philosophie de ces atteintes !

 


Loi sur l’eau, quelques explications pour mieux comprendre ce qui se trame.

 

1 – Les grands principes

 En préambule, il est nécessaire de rappeler succinctement l’historique de ce « problème ». La loi sur l’eau dans sa version moderne (3 janvier 1992) a été rédigée dans une forme traditionnelle, c’est-à-dire en définissant tout d’abord ses grands principes mais également les objectifs généraux à atteindre pour respecter ces principes. Les différents aménagements et/ou décrets intervenus depuis n’ont pas modifiés ce cadre général qui est donc toujours (théoriquement) en vigueur :

Loi sur l’eau de janvier 1992

Article L.210-1

L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.

Article L.211-1

  1. Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :

1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; (…)

2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d’accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu’il s’agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;

 

2 – Les décrets et dérogations, moyens d’affaiblir la protection des eaux

 Malheureusement, et c’est une tradition nationale, les ambitions affichées en tête de texte sont très vite modulées par les décrets d’application et/ou les dérogations permises.

Dans cette loi, la méthode consiste à lister les activités humaines susceptibles de porter atteinte aux grands enjeux en cause puis de définir, en fonction de leur ampleur, si elles sont soumises à une autorisation administrative, à une simple déclaration ou ne nécessitent aucune démarche. C’est donc dans cette « nomenclature » (Art. R.214-1) que figurent les règles en rapport avec notre sujet (cartographie des cours d’eau).

Exemple de la destruction des frayères : la Loi permet la majorité des atteintes aux frayères.

Quand on considère avec attention les textes mis en œuvre on peut même se demander avec inquiétude si leur rédaction est le signe d’une énorme incompétence ou d’un mépris total du sujet et/ou du futur lecteur. Si on considère, par exemple, la rubrique:

3.1.5.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d’un cours d’eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d’alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens ou dans le lit majeur d’un cours d’eau, étant de nature à détruire les frayères de brochet :

1° Destruction de plus de 200 m² de frayères (Autorisation) ;

2° Dans les autres cas (Déclaration)

L’intitulé évoque la destruction de frayères mais aussi de zones de croissance, d’alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens et pourtant, l’autorisation n’est exigée qu’à partir d’une surface, par ailleurs très importante, de frayères, les autres critères étant totalement négligés. Il faut savoir que même si le régime de la déclaration n’est pas sans intérêt il est toutefois beaucoup moins exigeant et donc protecteur que le régime de l’autorisation. Et bien sûr, pour toute personne ayant même seulement un vernis de connaissance sur la faune piscicole, il est évident qu’une surface de 200 m2 de frayères élimine d’office un assez grand nombre d’espèces et pénalise également celles déjà en danger. Dans notre actualité récente, la Truite fario et l’Ombre commun ont été particulièrement menacés par la dégradation de leurs habitats. Les frayères de ces deux espèces d’une taille inférieure à celle soumise à autorisation sont majoritaires et ce point souligne encore l’indifférence des « législateurs » vis-à-vis des réalités de terrain.

 


Et on en revient à la cartographie des cours d’eau, dernière attaque législative en cours

 

1 – Les eaux de surface à protéger se trouvent réduites à des cours d’eau quand il s’agit d’activités humaines.

Derrière ces termes, il ne s’agit nullement de jouer sur les mots mais bien de réduire encore le champ d’application de la Loi sur l’Eau.

Car si dans le titre 1 « Prélèvements » et le titre 2 « Rejets » de ce texte on parle d’eaux de surface, de nappe, d’aquifère, d’eaux souterraines, le titre 3, malgré son appellation « Impact sur le milieu aquatique ou sur la sécurité publique » n’utilise plus que le terme « cours d’eau » dans ses rubriques concernant les travaux susceptibles de modifier les conditions d’écoulement (rubriques 3.1.1.0 à 3.2.2.0).

C’est cette particularité (intentionnelle ou non ?) qui a permis à ceux qui trouvent les contraintes administratives et environnementales insupportables de s’engouffrer dans cette brèche réglementaire en exigeant une définition et une cartographie des cours d’eau afin d’exclure de l’application de la loi tous les milieux aquatiques et tous les écoulements n’y figurant pas. Il parait surréaliste de constater que c’est le ministère chargé de la protection des milieux aquatiques et de la ressource en eau qui a donné consigne aux préfets de mettre en œuvre cet inventaire mais ce n’est malheureusement pas la première fois que de telles actes contre-nature sont commis.

2 – Des conséquences écologiques importantes et un message très négatif pour la défense des milieux aquatiques

Donc, malgré l’allègement exorbitant des contraintes par rapport à l’ambition de départ de la Loi sur l’Eau sensée assurer la protection de ce bien commun, les pressions n’ont pas cessé et conduit à la pseudo-étude en cours. Les conséquences potentielles sont loin d’être négligeables car même dans l’hypothèse d’une cartographie parfaite et unanime des cours d’eau, les autres « écoulements », comme l’avoue le compte-rendu officiel de la première réunion, ne seront soumis à aucune démarche avant travaux. La possibilité de comblement ou de recalibrage anarchique sera donc ouverte avec pour effets, en plus de la destruction des espèces associées, l’aggravation automatique des épisodes extrêmes de sécheresse et de crue. Les victimes humaines éventuelles de ces nuisances ne pourront plus se retourner contre les auteurs des modifications et il ne leur restera que la possibilité d’un recours contre l’Etat, responsable incontestable de la mise en place de ce système. De toutes les manières, une cartographie exhaustive est impossible principalement pour les chevelus de têtes de bassin, petits cours d’eau évolutifs et parfois alternatifs dont pourtant l’importance est primordiale dans le fonctionnement hydraulique et écologique de l’ensemble. Ils seront les premières victimes d’une méthode en complet décalage avec des réalités de terrain qui sont définitivement étrangères aux préoccupations des « décideurs » institutionnels.

 

Il s’agit donc ici de la dernière étape d’un processus de détricotage d’un texte de protection des milieux aquatiques mis en place au départ dans la loi « pêche » et son article L.432-3. Le but premier n’était évidemment pas d’interdire toutes interventions dans les milieux aquatiques mais d’en encadrer la réalisation pour en réduire les impacts et en optimiser les avantages visés. Dans le département du Doubs, une politique de suivi des dossiers de ce type avait été mise en place grâce à un partenariat intelligent entre les services de terrain et les services instructeurs et le bilan était très positif tant du point de vue de l’administration que du public. Ce système exigeait, par contre, un fort investissement des personnels et ce n’est évidemment plus dans l’air de ces temps de réduction d’effectifs. La décision en haut lieu a déjà été prise et la participation minoritaire du monde associatif aux différents groupes de travail liés à ce projet n’est qu’un artifice de plus, la représentation largement plus importante des structures représentant les lobbys  demandeurs de cette « réforme » en est une preuve peu contestable.

 

  Busy le 10 mai 2016

Michaël Prochàzka

 

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