Quand la science démontre que les lisiers polluent nos rivières

Nous vous l’expliquions déjà sur ce même site ici en mai 2016, or une nouvelle étude vient tout juste de paraître et elle ne fait que confirmer toutes nos craintes : les lisiers ont un impact important sur les rivières.

Victor Frossard, maître de conférence et docteur en physiologie et biologie des organismes, vient en effet de publier, en collaboration avec d’autres scientifiques, une étude intituléeImpacts des apports d’azote sur la qualité de l’eau et les organismes aquatiques de la Loue”. On vous propose de simplifier cette étude (disponible tout en bas de cette page) afin de vous l’expliquer.

Tout d’abord, voici un extrait de la conclusion

“Notre étude suggère que, pour la section de la rivière étudiée, la chimie de l’eau et les organismes aquatiques de la rivière sont influencés par les activités anthropiques qui sont principalement liées aux pratiques agricoles dans le bassin versant de la Loue. {…} Par conséquent, la gestion et le contrôle des exportations d’azote des bassins versants impliquant des partenariats entre les différentes acteurs locaux devraient être priorisés pour réduire la dégradation de la qualité de l’eau et limiter les effets écologiques néfastes sur cette rivière au bassin-versant karstique.”

Frossard et al. (2020) – Impacts of nitrogen loads on the water and biota in a karst river (Loue River, France). Hydrobiologia, https://doi.org/10.1007/s10750-020-04264-4

Eutrophisation : de l’été à l’hiver

Il y a plusieurs décennies, l’eutrophisation, c’est-à-dire, pour simplifier, le développement des algues dans les rivières suite à un apport trop important en nutriments en particulier l’azote et le phosphore, était un phénomène limité d’été parce qu’en étiage, c’est-à-dire quand le niveau d’une rivière est très bas, il y avait une petite augmentation des concentrations des nutriments et avec la luminosité, les algues proliféraient. Les anciens disaient, et certains disent encore d’ailleurs, qu’une bonne crue « lavait » la rivière. C’est ce qu’on “voyait”.

Or, depuis quelques décennies, en relation à la fois avec l’augmentation des épandages -engrais chimiques, fumiers, lisiers- et des déjections en pâtures, d’une part et les rejets des Systèmes d’épuration (STEP) d’autre part, c’est le contraire qui se produit ! C’est désormais au moment des crues que la rivière se salit car elle reçoit les polluants par lessivages des sols agricoles et par «débordements» des STEP (les fameux Déversoirs d’orage dont nous aurons l’occasion de reparler très prochainement sur notre site).

Une origine agricole attestée pour l’azote

En faisant les bilans, les recherches montrent que pour l’azote le problème est quasi exclusivement agricole. En ce qui concerne le phosphore, le bilan est plus partagé, mais ce qui est démontré, c’est que les fortes pluies amènent un transfert important de phosphore agricole qui s’ajoute à une pollution récurrente sur le long terme des STEP.

Ce que cette étude montre

1/ Il y a une augmentation des grosses arrivées d’azote. La situation est de pire en pire. Cela rejoint les conclusions d’une autre étude, celle de Cuinet menée en 2012 qui faisait le lien entre le flux d’azote et les épandages d’automne et printemps,

2/ En ce qui concerne l’azote présent dans la Loue (là où ont été fait les prélèvements), 85 % au moins est d’origine agricole.

3/ Le pic en concentration de l’azote est atteint en automne et en hiver, ce sont les crues moyennes qui apportent les polluants à la rivière.

En résumé, on constate de fortes arrivées des nutriments en automne et hiver parce que les épandages ont lieu en dehors de la période active de la végétation et en période de pluies. Le tout est lessivé vers les rivières où se développent alors des bactéries et des algues brunes qui colonisent les cailloux, ce qui amène un fond propice pour l’installation des algues (eutrophisation d’été) voire le développement de cyanobactéries.

Les lisiers : une réelle menace pour les rivières

Les épandages d’automne et d’hiver, et les lisiers sont clairement une menace visible confirmée par cette étude. L’évolution de l’élevage vers le lisier et le productivisme laitier (produire toujours plus) n’est pas tenable pour le milieu naturel. Il doit être mis fin au tout lisier pour notre région, nos milieux n’en peuvent plus.

Suite à cette étude, le collectif SOS LRC demande donc l’arrêt des épandages de lisiers de mi-octobre jusqu’au seuil des 200 degrés jour au printemps. Dates d’arrêt régies par arrêtés préfectoraux en fonction de l’altitude, et que soit rendue obligatoire la couverture des cuves à lisier et des fumières avec mise oeuvre dans un délai de deux ans.

Extraits de l’étude en français

Cliquez sur les flèches en bas de l’aperçu pour faire défiler les pages de l’étude.

Frossard-et-al.-2020-HYDROBIOLOGIA-extraits

Pour aller plus loin : Note de la DREAL de juin 2011 concernant les épandages

Cliquez sur les flèches en bas de l’aperçu pour faire défiler les pages de l’étude.

Note-épandageDef-06-06-2011-Marie-josé-Vergon-DREAL

8 réflexions sur “Quand la science démontre que les lisiers polluent nos rivières”

  1. La preuve de l’impact de l’épandage est maintenant établie solidement .
    Il faut maintenant passer à une gestion industrielle durable du lisier pour le sortir de
    l’environnement et le valoriser.
    Le coût du traitement de ce sous-produit est à intégrer dans le coût de revient de chaque « producteur de lisier. »
    Les acteurs de cette nouvelle filière seront ces producteurs qui se grouperont .
    S’ ils ne comprennent pas les enjeux ,ils disparaitront avec la filière Comté .

  2. Marcel Guittat

    Tout cela est connu, mais il faudra prendre des décisions en accord avec les autorités si nous voulons aboutir à une solution viable du traitement des rejets de lisier !
    C’est en informant le grand public pour dire que la consommation de fromage a des impacts sur la biodiversité de nos rivières et bien entendu à long terme sur nous !
    Le risque d’une baisse de la consommation en informant la population est, je pense, peut être une des solutions…

  3. Une autre solution dont j’avais déjà fait part depuis des années, pourquoi ne pas créer un service de ramassage du lisier dans les exploitation, facile de savoir le cubage en fonction du cheptel, comme pour le lait, racheter aux exploitants, mieux échanger contre des engrais compatibles avec ce type de sols, créer une usine de méthanisation, comme en Norvège par exemple, Pontarlier ?????, une usine qui va chauffer des foyers. Bilan, arrêt spectaculaire de la pollution des nappes pour l’eau potable, arrêt d’une bonne partie des nitrates dans les rivières, biodiversité des prairies multipliée, fin de la guerre agriculture écologie (qui arrange bien du monde), création d’emplois en ces lieux qui en ont bien besoin, inconvénient, ???, cela coute au départ, il ne manque qu’une volonté politique, c’est tout, les solutions techniques elle existent.

    1. Non Bopi, la méthanisation ne résout en rien le problème de l’azote et du phosphore, au contraire elle l’aggrave ! D’abord parce que tout l’azote et le phosphore entrant dans les méthaniseurs en ressort et doit être épandu (l’excrétat appelé improprement digestat … beurk), ensuite parce que pour des raisons de rentabilité les méthaniseurs chalandise bien au delà de leurs surfaces, et donc in fine ramènent d’ailleurs d’autres azote et phosphores, enfin, parce que l’excrétât possède des ions ammoniums plus labiles que l’urée elle-même, et moins assimilables par les plantes, plus lessivables. Tout un mauvais programme cette méthanisation.

  4. Tous ceux qui s’intéressent à l’agriculture respectueuse de l’environnement savent, depuis des années, que si le fumier est un excellent engrais, le lisier est une catastrophe.
    Seule la FNSEA, fossoyeuse de la paysannerie, peut encore faire semblant d’y croire et défendre ces pratiques.
    Il est temps de placer au pouvoir de vrais défenseurs de l’environnement.
    Car le système économique ultra-libéral mondialisé ne produit que de l’asservissement des peuples et l’accroissement des inégalités.
    Tout cela est lié et ce n’est pas en peignant en vert le pulvérisateur que nous résoudrons les problèmes.
    La situation mondiale actuelle nous montre aussi que nous avons besoin d’un État et des services publics puissants, de même que des filets sociaux qui protègent ceux qui travaillent.

  5. La valorisation du lisier n’est qu’une variante de l’agro-business.
    Il faut très vite revenir à une agriculture paysanne.
    Et qu’on ne nous dise pas qu’elle n’est pas assez productive !
    – D’abord parce que notre rôle n’est pas de nourrir le monde, puisque qu’on sait qu’il faut partout relocaliser. Même la FAO le dit… Et ce ne sont pas des gauchistes !
    – Ensuite parce qu’on sait que des pratiques agricoles traditionnelles, même sans labour, peuvent avoir de très bons rendements.
    – Enfin parce qu’on vivre aussi bien en mangeant beaucoup moins mais meilleur. A budget constant. J’en ai fait l’expérience depuis de nombreuses années.

    1. Jean-Noël SALOMON

      Bonjour Daniel,

      Je suis d’accord à 100% avec tes commentaires. J’ai dirigé pendant plus de 20 ans un labo (le L.G.P.A. Laboratoire de Géographie Physique Appliquée) où nous faisions des études sur la pollution des eaux et des sols confirmant totalement ce que tu dis. En 2003 j’ai publié un livre synthétique intitulé « Danger Pollutions » (P.U.B.) où cette question était abordée. Mais hélas, les paysans eux-mêmes défendent des pratiques nocives dont ils sont les principales victimes.

      Cordialement

  6. Merci Jean-Noël pour ton commentaire.
    Si on s’intéresse à l’état général de notre planète, et à celui de l’agriculture en particulier (J’ai deux enfants sur trois qui ont fait des études agricoles et j’ai été co-fondateur du collectif « du champ à l’assiette ») on sait parfaitement ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait modifier.
    De même, le couple Bourguignon nous a alerté depuis des lustres sur l’état des sols, en particulier dans les zônes de culture intensives comme la Beauce ou la Brie. La couche d’humus est réduite au minimum. Les sols ont baissés de 30 à 40 cm et AUCUNE VIE n’existe plus dans ces sols. Ils ne produiraient rien sans chimie.
    Les paysans sont victimes du discours et du matraquage qu’on leur inculque dès l’école d’agriculture. D’autant que la filière est contrôlée de A à Z par les lobbies de l’agro-chimie. Dont la FNSEA est le bras armé sur le terrain. Même le ministère est sous leur contrôle.
    Et le consommateur lambda continue à charger nos caddies d’une quantité impressionnante de produits transformés qui sont des poisons lents.
    Il ne faut acheter que des produits de base de bonne qualité et cuisiner.
    On a bien le temps de regarder des imbécilités à la TV, donc on peut trouver le temps de se cuire un oeuf !
    C’est vrai que je suis « remonté », mais quand je vois cette disparition effrayante et rapide du vivant, il y a de quoi n’est-ce pas?

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