Lettre ouverte au préfet du Doubs : Un plan « Rivières karstiques 2027 » ?


Comme nombre d’entre vous, c’est via les réseaux sociaux et les médias (!) que nous avons appris le lancement du plan Rivières Karstiques 2022-2027 par la préfecture du Doubs et le département du Doubs.

Comment prétendre à une « volonté de transparence » comme l’indique l’article de Hebdo 25, intitulé « Une task force pour les rivières comtoises » quand aucune des associations travaillant sur la problématique n’a été sollicitée lors de la phase de préparation du « plan » ? Comment ne pas penser qu’il ne s’agit là que d’une action de communication et rien d’autre ?

Après avoir demandé, sur les réseaux sociaux, la communication du contenu de ce fameux plan, nous n’avons toujours RIEN reçu à ce jour. De quelle transparence s’agit-il là ?

Ecoutez ce qu’en dit Alexandre Cheval, salarié de la fédération de pêche au micro de France Bleu Besançon :

Nous avons découvert, lors de l’assemblée départementale du Doubs du 26 septembre dernier, que même des élus départementaux ont appris le lancement de ce plan à travers les réseaux sociaux ! Ci-dessous, dans cette vidéo, nous avons relevé tous les extraits de la séance qui abordent le sujet. Les réponses de Béatrix Loizon et de Philippe Alpy ne sont pas à la hauteur. Notamment à 6’31 quand Béatrix Loizon s’exclame : « C’est souvent votre Leitmotiv, porter plainte, porter plainte, porter plainte. »

Les élus du groupe minoritaire « Doubs Solidaire » ont d’ailleurs publié hier un communiqué de presse, ici sur leur site, communiqué que nous ne pouvons que saluer.

Cette affaire reste à suivre, nous attendons toujours avec impatience le contenu complet de ce plan (Monsieur le préfet, vous pouvez nous le transmettre à info@soslrc.com) et le contenu du fameux site de l’eau du département du Doubs.


Le contenu de notre lettre ouverte

Monsieur le préfet, 

Les milieux aquatiques patrimoniaux du Doubs sont en perdition, les populations salmonicoles mais aussi les populations d’autres espèces emblématiques comme l’Apron du Rhône sont en constante régression, à tel point que leur avenir est compromis. 

Plus globalement nous constatons une réduction et une banalisation de la faune et de la flore de ces cours d’eau emblématiques. Le mal premier qui gangrène ces milieux est diagnostiqué par les scientifiques et visible aux yeux de tous : c’est une maladie nommée eutrophisation, une forme d’obésité liée aux excès d’intrants azotés et phosphorés d’origine anthropique issus des immenses bassins versants hydrogéologiques. Cette maladie n’est pas sans rappeler celle provoquée chez l’homme par un excès de nourriture. 

L’eutrophisation se traduit par la production de quantités énormes d’algues vertes qui colmatent les fonds, anéantissent la résilience des milieux, amputent considérablement les fonctions autoéputatrices originellement assurées par ces substrats de fond, et les rendent sans vie. 

Ces algues en pourrissant en fin d’automne, asphyxient les rares survivants et perturbent la reproduction piscicole. Nous ne ferons pas l’affront de vous faire un inventaire des innombrables autres désordres induits par ce phénomène, qui d’ailleurs devrait être aujourd’hui plutôt qualifié de dystrophie tant la situation est déplorable.

Sans nul doute vos services de l’Etat compétent en la matière sauront répondre à vos interrogations, vous permettant d’en acquérir une approche objective et sans concession.

Des mortalités très importantes d’espèces patrimoniales telles que Truite fario et Ombre commun se sont multipliées au point qu’une manifestation d’indignation a célébré l’enterrement de la Loue à Ornans en 2010. 

Depuis, département, région, et responsables de l’Etat ont été sollicités pour retrouver la santé des rivières comtoises. Les  rapports, les études, les contrats de rivières et les projets se sont accumulés depuis et n’ont que très peu modifié la situation générale qui reste très dégradée.

 Des associations de citoyens multiplient les alertes et les recours sans grands résultats. Comprenez bien que cette lettre est avant tout l’expression d’un sentiment sincère de désespoir face à l’état de ces cours d’eaux emblématiques, nombre d’entre nous ayant connu ces rivières avant cette grande bascule de 2009-2010.

Cet automne 2022, après trois pics de canicule et de sécheresse, la situation des cours d’eau est très contrastée : 

  • Il y a les rivières à sec comme le Doubs en aval de Pontarlier, et le saut du Doubs : ces exemples très visibles interpellent le citoyen qui oublie dès que l’eau revient.
  • Il y a les rivières en étiage sévère, avec un débit ridicule : ces situations paraissent plus acceptables jusqu’à ce que l’eau manque au robinet ou ne soit plus consommable.
  • Et enfin, il y a les rivières vertes,  envahies d’algues filamenteuses, avec un fond colmaté, ce sont les dérives visibles de l’évolution vers l’eutrophisation ! 

POURTANT ces rivières de l’arc jurassien sont classées officiellement en «bon état» en terme administratif ! Ce classement est à l’opposé du constat factuel. 

Il y a eu un temps pour le dialogue après 2010 et nous y avons largement participé. Nombre d’associations environnementales, endurantes, y participent encore. L’excellent rapport Vindimian commandé par l’Etat …il y a déjà 6 ans… avait clairement posé le diagnostic, et proposé les pistes d’avancées:

 Pourtant, constat est fait qu’il n’a jamais été réellement pris au sérieux, et qu’aucune grande décision n’a été prise : les rivières comtoises agonisent, leur inexorable dégradation se poursuit, aucune amélioration concrète n’est visible, . 

Seul l’aspect agricole fait l’objet de « tensions » régulières, alors que les problèmes portent tout autant sur les politiques d’assainissement et de leurs mises en œuvre. Ces problématiques n’ont malheureusement pas la même portée médiatique et sont beaucoup moins relayées par la presse et par le grand public.

Au cours de l’année écoulée, le collectif SOS Loue et Rivières Comtoises, en collaboration avec ANPER-TOS, a déposé plusieurs recours contre l’État, dont vous êtes le représentant. Ces recours contiennent tout ce qu’il y a à dire et à connaître sur l’état des rivières comtoises. 

C’est dans ce cadre, et à travers les médias, que nous apprenons l’existence et la signature du Plan « RIVIÈRES KARSTIQUES 2027« . Plan que le collectif SOS Loue et Rivières Comtoises appelle de ses vœux depuis toujours. C’est d’ailleurs une démarche qui va dans le sens de nos 74 propositions réunies dans un document édité dès 2014. 

Et quelle surprise : à ce jour, les partenaires de ce plan sont uniquement les Services des Collectivités et de l’État ! Cette instance nouvelle, sans aucune représentation directe des citoyens et des associations, ne répond pas à l’idée de démocratie moderne, ni de transparence que vous souhaitez .

Les associations compétentes dans le domaine de l’environnement et de l’hydrobiologie, comme le collectif SOS Loue et rivières comtoises, ANPER-TOS, la CPEPESC, France Nature Environnement, et la Fédération de pêche qui tous ensemble réunissent des milliers d’adhérents motivés et souvent très compétents en matière d’environnement : géologie, biologie, botanique, pollutions,… n’ont pas été invitées à participer au travail de préparation de ce plan. Elles ont pourtant des connaissances de terrain et des expertises reconnues par des publications, des actions et des avis validés. Ces organisations continueront d’être des lanceurs d’alerte sur le terrain.

Par ailleurs, ce plan, proposé par vos services à l’échéance 2027, ressemble à s’y méprendre à celui ‌qui a déjà été présenté à Ornans en ce début de siècle : le préfet de l’époque avait accepté le principe d’un Contrat de Territoire avec l’objectif de sauvegarder les rivières du Doubs. Pour des résultats peu visibles à ce jour faute d’investissements financiers. 

Vous annoncez, dans le dossier de presse, que “de nombreuses études sont prévues par le plan afin d’anticiper les conséquences du changement climatique ou mieux connaître les conséquences de nos actions actuelles.” Nous pouvons vous transmettre toutes les études déjà réalisées qui sont largement étayées et suffisantes pour la prise de décision. L’époque des études qui font “gagner du temps” pour ne pas avoir à prendre des décisions compliquées devrait être révolue.

Vous écrivez, toujours dans le dossier de presse :

 “La mise en œuvre de nouvelles règles dans les zones vulnérables : pour encadrer les pratiques agricoles dans ces zones de manière à réduire la pollution des eaux par des nitrates d’origine agricole.” 

Ces affirmations sont en complet décalage avec ce qu’il s’est passé l’année dernière dans notre région lors de la révision des Zones Vulnérables Nitrates (ZVN). Ni la Loue, ni le Dessoubre, pour n’en citer que deux, n’ont été classés en ZVN alors qu’ils en remplissaient le principal critère : l’eutrophisation avérée. 

Le seul cours d’eau ayant été classé, le Cusancin, ne l’a été que sur quelques pourcents de tout son bassin versant collecteur ! Voici, ci-dessous, la réalité des Zones Vulnérables Nitrates aujourd’hui dans le département du Doubs. Encore une fois, face à cette invraisemblance, nous avons dû déposer un recours.

Plus précisément, page 17 de votre dossier de presse, concernant le “Plan d’accélération sur la qualité environnementale des fromageries du Doubs”, vous écrivez ceci, “Parce que l’impact de ces dysfonctionnements sur les milieux aquatiques et leur retentissement médiatique sont majeurs.” 

Au delà du fait de mettre au même niveau un impact sur les milieux aquatiques et un retentissement médiatique, nous voudrions vous rappeler qu’en juin 2021, une lettre ouverte de votre prédécesseur nous reprochait “une communication très agressive” pour avoir, seulement, publier des photos et vidéos d’un nombre non négligeable de dysfonctionnements portant atteintes à l’environnement. Aujourd’hui, vous actez, par ce plan, que non seulement, nous avions raison de nous alarmer de cet état de fait, mais également que la communication que nous avons réalisée a été indispensable pour sa prise en compte.

Il y a seulement 4 mois, en juin 2022, l’avocat de la défense de la fromagerie Monnin à Chantrans a utilisé, comme argument, le fait que les services de l’Etat, vos services, n’avaient pas réclamé le paiement des astreintes suite aux différentes mises en demeure. Pour rappel, ce dysfonctionnement était connu de vos services depuis plusieurs années et avait fait l’objet de trois mises en demeure. Il a fallu cette médiatisation de notre part pour que le problème soit enfin réellement mis sur la table. Ne nous voilons pas la face : l’économie passe quasi-systématiquement avant l’environnement.

Nous attirons particulièrement votre attention sur le fait que les fromageries ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Toujours page 17, vous écrivez : “L’objectif (de ce Plan d’accélération sur la qualité environnementale des fromageries du Doubs) est clair : maintenir le potentiel de production emblématique de notre région tout en réduisant son impact sur la qualité des milieux en mobilisant tous les leviers d’action disponibles.”

Il faut accepter, et c’est certainement le travail le plus difficile, que maintenir le potentiel de production laitière aussi emblématique soit-elle, n’est pas compatible avec la réduction de la pollution des rivières en Franche-Comté. François Degiorgi, hydrobiologiste au laboratoire Chrono-Environnement de l’université de Franche-Comté et coauteur de l’étude approfondie sur les causes de cette pollution, rappelle des faits désormais établis :

« Actuellement, on observe des taux de 7-8 milligrammes de nitrates par litre d’eau or il faut descendre en dessous de 3 pour que tout l’écosystème de la zone à truites et zones à ombres puisse vivre normalement ». Il ajoute : « La filière comté est vertueuse dans ses pratiques par rapport à d’autres secteurs agricoles car une limitation des intrants a été mise en place. Ces efforts sont louables mais insuffisants. Pour être efficace, il faudrait une réelle réduction des intrants et pas seulement une limitation. Cela passe par une réduction de la production.»

Ainsi, dès le départ, l’objectif de ce plan fromageries est biaisé et ne prend pas en compte la réalité de la dégradation importante des rivières karstiques.

Vous avez, en tant que représentant de l’État et au travers de vos différents services, une certaine vision de la situation. Nous, militants, sur le terrain, en avons une autre. Les deux sont indispensables et complémentaires.

C’est pourquoi nous sommes à votre disposition ces prochaines semaines pour vous rencontrer et échanger. En vous remerciant de votre attention, veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de nos salutations respectueuses.

Le Collectif SOS Loue et Rivières Comtoises

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