Texte de Jean-Pierre Hérold
Quelle biodiversité voulons-nous demain pour nos rivières ?
A priori, on peut imaginer de classer les espèces de poissons présentes en deux catégories : celles d’ici et celles venues d’ailleurs. Mais les choses se compliquent si on souhaite préciser l’origine de ces dernières et la façon dont elles se sont installées : par introduction ou par déplacements progressifs dans le réseau des rivières et des canaux.
Les autochtones
Une première liste est celle des espèces qui ont toujours été présentes dans les rivières de l’arc jurassien référencées de mémoire et de publications anciennes, c’est ce qu’on appelle les espèces autochtones :
- able de Heckel,
- ablette,
- anguille,
- apron du Rhône,
- barbeau fluviatile,
- blageon,
- bouvière,
- brème bordelière,
- brème commune,
- brochet,
- chabot,
- chevaine,
- épinoche,
- épinochette,
- gardon,
- goujon,
- lamproie de Planer,
- loche d’étang,
- loche épineuse,
- loche franche,
- lote,
- ombre commun,
- perche,
- rotengle,
- spirlin,
- tanche,
- toxostome,
- truite commune,
- vairon,
- vandoise.
soit 30 espèces
Les allochtones
La deuxième liste est celle des espèces allochtones :
- amour blanc,
- aspe,
- black bass,
- carassin commun,
- carassin doré,
- carpe argentée,
- carpe commune,
- corégone,
- esturgeon(s) ,
- grémille,
- hotu,
- ide melanote,
- perche soleil,
- poisson chat,
- pseudorasbora,
- sandre,
- saumon de fontaine,
- silure,
- truite arc en ciel,
- et enfin le tout dernier arrivé , le gobie demi lune provenant du bassin du Danube présent dans la Saône , comme probablement le crapet de roche.
soit 20 espèces.
Des tentatives d’introduction ont échoué avec le huchon ou saumon du Danube, le cristivomer, l’omble chevalier, les esturgeons et d’autres mal documentées.
Ce score étonnant montre qu’en un siècle environ 40% des espèces de poissons présentes maintenant sont des espèces nouvelles dans nos rivières et nos lacs. L’action de l’homme est responsable de ce grand chamboulement qui ne s’est pas toujours fait sans dégâts.
Précisions sur ces espèces allochtones : d’où viennent-elles et quand sont-elles arrivées ?
La perche-soleil originaire d’Amérique du Nord est importée en France par des Sociétés d’Acclimatation en 1877, pour l’originalité de sa forme et de sa robe, donc par curiosité scientifique ! Puis elle est diffusée et répandue partout. De même pour le poisson-chat d’Amérique du nord (1871) puis du black- bass américain (dans les années 1890), de la truite arc-en-ciel (Montagnes Rocheuses, 1884), et de la carpe-amour , carpe argentée et carpe à grosse tête importées d’Extrême Orient pour tenter la lutte biologique contre la prolifération du phytoplancton des étangs.
Pour conforter le loisir pêche, le sandre originaire de l’est de l’Europe, est introduit autour des années 1920 dans le Rhin et la Saône. L’esturgeon sibérien, et le pseudorasbora provenant du bassin du fleuve Amour sont déversés en eaux closes depuis 1975 provenant de piscicultures, mais ils peuvent aussi véhiculer des parasites !
Le silure en provenance de l’Europe centrale a été déversé dès les années 1855 par curiosité scientifique – un poisson qui dépasse les deux mètres voir trois mètres dans le Danube vaut un essai – puis il a progressé via les canaux en direction de l’ouest et s’est installé progressivement dans toutes les rivières de plaine ou il est bien, voir trop présent au yeux de certains : + 270% d’occurrence depuis 2005 dans la Région.
Souvent ces espèces vivent dans un certain ordre nouveau avec le milieu (le sandre par exemple), et d’autres n’ont pas encore atteint ce niveau d’équilibre et sont en progression comme le silure ; d’autres encore trouvent dans nos rivières des eaux encore trop froides qui les empêchent de se reproduire comme le black-bass ou achigan, mais qu’on trouve reproducteur en étang ou en réservoir.
Les rapports prédateurs/proies en particulier ont évolué au détriment temporaire d’espèces autochtones, ainsi donc du sandre ou du silure qui auraient impacté les populations de cyprinidés locales. Mais là aussi un équilibre nouveau se met en place en quelques années.
En revanche, dans la vallée de l’Ain, la rivière à salmonidés a été totalement bouleversée : Vouglans une “masse d’eau” créée en 1968 , de 600 millions de m3, longue de 30 km, a complètement modifié la répartition des espèces piscicoles basée maintenant sur les cyprinidés et leurs prédateurs déversés régulièrement.
Pour les lacs naturels du Jura , de Saint Point à Chalain et à ses voisins on note qu’ils conservent une stabilité faunistique assez remarquable. On admire dans ces lacs une introduction réussie, celle du corégone en provenance du lac de Neuchâtel qui a donné des résultats exceptionnels, salués par les hydrobiologistes, les pêcheurs et les gastronomes. (Vivier 1957). Ce corégone ( Coregonus lavaretus ) espèce lacustre grégaire appelé aussi palée, lavaret , bondelle ou féra , selon les sites , est une espèce polymorphe autochtone du lac Léman et du lac du Bourget. Toutes ces populations lacustres ont été introduites avec succès sans entraîner de déséquilibre biologique !
ET MAINTENANT ?
Deux constats et deux questions :
- d’abord temporel : par la multiplicité des espèces nouvelles invasives ou non introduites surtout entre les années 1860 et 1960 , ou toutes les tentatives d’introduction étaient les bienvenues. 40% des poissons présents au 21ème siècle sont issus de ces tentatives : est-ce une réussite ?
- ensuite spatial : par la diversité des origines de ces espèces d’eau douce : de l’Extrême Orient, ou des Amériques : tous les moyens de transport sont utilisés, et toutes les offres d’espèces nouvelles de poissons exotiques sont proposés pour essais d’acclimatation… ou pour élevage. Le remplacement d’espèces autochtones fragilisées par des invasives dynamiques est une éventualité forte, elle est en marche dans certains biotopes : est-ce un danger ?
La morale de cette histoire est plutôt une bonne nouvelle : il semble évident que plus un milieu est en bon état pour les espèces autochtones, plus l’impact des allochtones est faible. Et à l’inverse, on constate que les milieux très dégradés comme la basse Lanterne (70) qui souffre d’une folle érosion, n’a plus aucune frayère à brochet fonctionnelle (normal, elle est descendue de plus de 2 m), ne convient plus qu’au silure qui à la rivière pour lui tout seul comme prédateur.
Donc, une fois de plus, restaurons, il en restera toujours quelque chose !
ancien pêcheur sur la bas Doubs et la Saône, je peux affirmer que le black se reproduit dans ces deux rivières sur des secteurs peu profonds (et donc plus chaud) aux eaux stagnantes dont le fond doit comporter quelques graviers dans le cas de secteur sablonneux. il réalise un nid que le mâle défends activement dès lors où la ponte a été effectuée ( comme le fait par ailleurs le sandre)