L’Ombre en Haute-Saône : un poisson discret

Texte de JP Herold – Dessin de couverture par Philippe Marle

L’amont des rivières de la Haute Saône héberge un poisson que peu de gens connaissent, mis à part les pêcheurs qui fréquentent leurs rives : c’est l’Ombre, un cousin de la Truite. Son nom latin est Thymallus thymallus qui fait référence à son odeur de thym . En effet quand on a l’occasion de tenir dans la main un Ombre , après l’avoir relâché, il reste une odeur de thym tout à fait caractéristique . On le reconnaît à la belle nageoire dorsale irisée , qu’on appelle étendard, et à la petite nageoire adipeuse à la naissance de la queue, qui est la marque de la famille des salmonidés. La zone à ombres correspond à des types de rivières aux eaux fraîches et courantes, où cohabitent la truite et le barbeau, le vairon et le blageon. On les trouvera donc dans l’Ognon amont, dans le Breuchin, la Reigne, la haute Lanterne, la Combeauté, le Rahin et quelques affluents. Les ombres sont présents souvent en groupe, sur les gravières, les zones de courants lisses et de fonds propres, avec une végétation composée de renoncules aquatiques et de mousses Fontinalis. Des zones plus profondes et proches sont leurs refuges en périodes d’étiages ou de crues.

Ognon à Chenevrey et Morogne

Identification

La taille moyenne de l’ombre est de 35 cm pour 400 g . Le corps, comprimé latéralement, est couvert de grandes écailles, dont certaines, pigmentées,
dessinent des stries longitudinales, soulignées de taches noires. La tête est petite, la bouche s’ouvre vers le bas. Le museau est fin, les yeux ont des pupilles en pointe vers l’avant et cerclées d’or. Le signal distinctif de l’espèce est la nageoire dorsale longue et haute, soutenue par une vingtaine de rayons souples. L’ensemble forme, sur près du quart de la longueur du poisson, un étendard irisé de coloration violette à pourpre. L’espèce appartient à la sous-famille des Thymallinés qui ne ressemble en rien à celle des Salmoninés (truites) mais bien plus à un Cyprinidé (chevaine ou hotu) d’où la possibilité de confusion.

Alimentation

L’ombre consomme de petites proies : insectes, larves et adultes, crustacés, vers et petits mollusques prélevés sur le fond ou capturés en dérive (gobages sur les éphémères et trichoptères).

Reproduction

La fraie a lieu au printemps, contrairement à celle de la truite qu’on observe en plein hiver. Les adultes matures (3 ans et plus de 32 cm), remontent le courant des rivières pour chercher leurs frayères dans les zones riches en hauts fonds de graviers, à courant rapide. Les mâles sont reconnaissables à leur coloration presque noire et à leur étendard largement déployé. Le couple, par de violents mouvements de leur partie caudale, creuse le substrat de graviers et émet les ovules et la laitance. Plusieurs phases de ponte se succèdent en présence d’autres mâles qui tentent de participer à la fécondation des 600 à 8000 ovules libérés (suivant la taille de la femelle). Les œufs sont jaunes et mesurent 3 mm. Ils restent à l’abri sous les graviers pendant une vingtaine de jours, dans une eau d’environ 10 °C, aux mois d’avril – mai. A l’émergence, les alevins mesurent de 15 à 20 mm, leur vésicule vitelline est petite. Puis ils gagnent les bordures de rive pour se nourrir. La croissance est très rapide et à la fin de l’automne, les ombrets atteignent 15 à 18 cm.

Le colmatage des fonds par les dépôts de polluants variés est à l’origine de la réduction des populations. Souvent après la fraie, des poissons malades sont marqués de taches blanches de champignons parasites, la « mousse » ou Saprolegnia . L’évolution est presque toujours mortelle. L’origine se situe dans la contamination par blessures au cours de la fraie lors des efforts de creusement des graviers contaminés.

Ombre Malade – 2020

Menaces

Les populations d’Ombres ont subit les effets des travaux hydrauliques et des modifications apportées au cours des rivières qui en perturbent le régime thermique. La tendance actuelle est à la remontée vers les têtes de bassin où le réchauffement estival est moins marqué lors des épisodes récents de canicules . Au delà de 25°C la survie de l’espèce est compromise. L’espèce est classée vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées en Franche Comté. Elle peut bénéficier de mesures de protection de biotopes , en particulier des frayères. Sa pêche est soumise à des quotas de prélèvement et à une taille minimale de capture précisée par Arrêté Préfectoral. Le Sorcier de Vesoul , Henri Bresson fut un pêcheur exceptionnel de Truites et d’Ombres, par sa connaissance des rivières mais surtout par sa technique de pêche. Il maniait la canne à mouche avec dextérité : à l’extrémité de la soie fouettée, une mouche artificielle de sa création, posée en amont du gobage était prise par le poisson leurré ! Ainsi de la Peute, une imitation de Phrygane montée avec des plumes de canard. A présent, beaucoup de pêcheurs ont modifié la technique et le matériel, ils deviennent conscients du devoir de respecter cet Ombre, espèce menacée. Ils pratiquent alors en no kill donc en relâchant leurs prises avec un minimum de blessures par l’usage d’hameçons sans ardillon.