Les bords des rivières comtoises aussi à l’agonie

C’est un sujet complexe mais primordial et qui passe lui aussi pratiquement inaperçu : les bords des rivières comtoises, ce qu’on appelle la ripisylve, sont à l’agonie. Jean-Pierre Hérold nous en parlait déjà, sur ce site, en 2020 dans cet article intitulé LES RIPISYLVES de la LOUE : ÉVOLUTION RECENTE. C’est désormais Alain Cuinet, président de la SAS Eaux Continentales, bureau d’études et d’ingénierie menant notamment des études pour le compte de l’Epage Haut-Doubs Haute Loue, qui tire la sonnette d’alarme.

Loue, Dessoubre, Doubs Franco-Suisse, partout les bords des rivières souffrent de divers maux, aggravés par le dérèglement climatique et les espèces invasives. Vous êtes témoins de ripisylves en mauvais état ? Envoyez-nous vos photos avec la localisation précise à info@soslrc.com MERCI !

Voici quelques extraits de la lettre ouverte d’Alain Cuinet que vous retrouverez en intégralité ci-dessous :

L’objet de cette lettre ouverte est que nous avons constaté un état de dégradation très alarmant des ripisylves de la Loue. (…) Il s’agit là d’une profonde inquiétude. Les arbres morts tombent et ne sont pas remplacés. Ils laissent à nu des berges désormais terreuses et sans protection.

A.Cuinet – Lettre ouverte – 25 mars 2023
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Pour aller plus loin :  » VÉGÉTATIONS RIVULAIRES ET RIPISYLES « 

Par Jean-Pierre Hérold

Le terme de ripisylve désigne étymologiquement la forêt (sylve) de rives d’un cours d’eau. Mais en pratique la ripisylve peut former un liseré végétalisé étroit ou un corridor très large, elle peut aussi avoir été supprimée au profit des cultures ou des prairies de fauche.  Elle a été modifiée, transformée au gré des besoins des riverains qui cherchent du bois de chauffage ou bien lors des crues violentes qui arrachent et transportent la végétation, et créent des embâcles qui modifient les courants. Elle a été maîtrisée au profit des voies sur berges ou chemins de halage. 

Il s’agit donc d’un système dynamique avec des périodes de crises et des temps de stabilité qui voient l’installation d’une végétation qui peut paraître permanente.

Cet ensemble de formations boisées, buissonnantes ou herbacées est présent sur les rives des cours d’eau ; la notion de rive désignant le bord du lit mineur non submergé à l’étiage. Selon son type d’évolution naturelle ou provoquée par des aménagements on trouvera toutes les séquences possibles entre le talus abrupt, la grève en faible pente, et une végétation qui peut former un rideau infranchissable pour accéder à la rivière ou une plage fréquentée par les bovins et les humains ! 

Une enquête botanique montre la persistance d’espèces autochtones, aulnes, frênes et saules, bien présents formant la strate arborée qui est associée a d’autre espèces formant la strate buissonnante composée de plusieurs dizaines d’espèces. On observe   aussi le développement d’espèces allochtones, invasives ou non, aux différents niveaux des strates végétalisées. 

Citons pour exemple : l’Érable negundo, la Renouée du Japon, les Budleia, la Balsamine des marais, les Asters, Solidages et Vergerettes toutes espèces xénophytes qui forment des franges tampon très évolutives.

I – La ripisylve est indispensable au bon fonctionnement de la rivière : ses rôles sont multiples

1.1- Protection des berges contre l’érosion

L’enracinement en profondeur des arbres et des arbustes permet le bon maintien des berges. Les racines des arbres fixent les berges, limitant ainsi l’érosion.

Toutes les essences d’arbres ne sont pas adaptées. Par exemple, le peuplier sera à éviter en bordure de cours d’eau. En effet, il aura tendance à développer ses racines plutôt en surface et pourra être rapidement déstabilisé par la rivière en crue, contrairement au saule, à l’aulne ou au frêne, qui ont un enracinement en profondeur.

Des espèces nouvelles se sont implantées et répandues, elles modifient la fonctionnalité du système et perturbent la dynamique des peuplements. Le cas du Budleia est exemplaire de la capacité de colonisation du lit majeur des cours d’eau. 

Photo Claude Nardin – L’Aulne glutineux fixateur de berge de l’Allan.

1.2- Ralentissement du courant 

La ripisylve offre des “obstacles” à la rivière et à son débit elle dissipe ainsi la force du courant, limitant l’érosion excessive : les forces engendrées par la rivière sont en déséquilibre permanent  au cours d’un cycle annuel: sans ce rôle de régulation, cette énergie serait reportée ailleurs ; pendant les crues, les végétaux freinent l’eau,  ils brisent le courant et protègent les berges aval d’une érosion trop forte. Les embâcles sont souvent des abris pour la faune aquatique, dont les poissons de grande taille. Mais trop d’obstacle, en particulier cette végétation qui se développe dans le lit mineur en période d’étiage provoque des effets de crues dévastatrices lors des accidents météorologiques dont la fréquence augmente.

1.3 – Zone tampon, épuration et fixation des intrans des terres agricoles

Les végétaux, le sol et les microorganismes constituent un filtre naturel pour la pollution qui arrive à la rivière. Les nitrates, phosphates et molécules phytosanitaires sont fixés par les plantes, le sol ou sont dégradés par les microorganismes, ce qui évite ainsi un rejet direct dans la rivière. Une bande enherbée doit être respectée sur 5 mètres selon la réglementation actuelle qui est encore insuffisante.  Les végétaux rivulaires prélèvent les matières organiques directement dans la rivière et participent ainsi à l’auto-épuration naturelle. Les bactéries associées, les diatomées, les algues, les éponges et les mycorhizes participent au processus.

1.4- Zone ressource et de refuge

La ripisylve est un lieu de ressource de nourriture, un lieu de reproduction, de refuge et de vie pour de nombreuses espèces animales, végétales, terrestres et aquatiques. Les  « froidières  » sont les refuges des salmonidés lors des épisodes de canicules, ce sont des sources discrètes dans le lit mineur du cours d’eau  souvent cachées sous la végétation, en communication avec la nappe phréatique dont l’eau est à une température plus basse. On ignore encore trop ce lien entre les eaux de nappe et celles courantes visibles dans la rivière.  L’ensemble constitue un système complexe qui est plus varié que celui du lit majeur souvent traité en monoculture.

 La diversité biologique est forte dans ces franges souvent laissées à l’abandon. 

Ripisylve en reconstruction sur la Loue après érosion de crue. – Photo Jean-Pierre Herold

II – D’autres fonctions sont identifiées

2.1 – L’effet corridor 

Une certaine continuité de l’écosystème rivière / ripisylve permet de former un couloir qui relie deux biotopes identiques.  Ces formations constituent la Trame Verte et Bleue cartographiée par l’administration. 

C’est également un repère pour la faune, ainsi lors des migrations d’oiseaux ou des déplacements des mammifères associés aux rivières : castor, ragondin, rat musqué, surmulots, tous présents mais discrets.

2.2 – La production de matière organique

Les feuilles mortes, les bois flottés et autres embâcles sont attaqués par les microorganismes de décomposition et vont former un humus riche qui permettra en aval le développement de cet écosystème linéaire.

2.3 – L’ombrage des eaux

L’ombre portée de la ripisylve sur la rivière permet de limiter l’été l’augmentation de la température de l’eau. Lors d’une importante eutrophisation, les arbres permettent également de priver les végétaux aquatiques de soleil, limitant ainsi leur photosynthèse et donc leur développement.

2.4 – L’effet brise-vent

Comme toute les haies, la ripisylve a également un effet brise vent. Des études ont démontré le gain de production des parcelles agricoles protégées par le vent, même s’il y a une perte sur les premiers mètres due à la compétition entre les espèces.

La dérive climatique en cours se traduit par la baisse estivale des niveaux de la nappe phréatique d’accompagnement en milieu karstique et/ou en milieu sédimentaire, elle entraîne une déconnexion des végétaux du niveau de l’aquifère. Accompagnée des augmentations estivales de températures, elle provoque alors des conséquences néfastes dans les peuplements végétaux en faisant disparaitre progressivement des espèces locales exploitées par les riverains. 

Donc une perte des fonctions de la ripisylve est aussi une baisse de la productivité du lit majeur cultivé. La profession agricole réclame alors le droit de forer des puits pour alimenter les arrosages de cultures : un prélèvement dans la nappe phréatique qui n’est pas sans conséquences hydro-écologique.   C’est une évolution controversée qui provoquera à l’avenir des conflits d’usage de l’eau. 

Rappelons que deux régimes du droit de propriété régissent ces ripisylves : le domaine privé ou le propriétaire riverain possède la rive et la moitié du lit de la rivière, et le domaine public ou c’est l’État qui est propriétaire du lit et de trois mètres de rives, c’est le cas de toutes les rivières navigables.

L’eau courante restant toujours « res nullius » n’appartenant à personne, mais reconnue patrimoine de l’humanité.