Faire comme avant : le malheur de la Loue

Par Jean-Pierre Hérold, biologiste, membre éminent de SOS Loue et Rivières Comtoises depuis sa création.

Vous pensez qu’il est suffisant de « faire comme avant » ?

  • Faire comme avant pour les pratiques agricoles ?
  • comme avant pour la gestion des STEP ?
  • comme avant pour la politique de l’eau : étiages, sécheresses, juste à laisser passer, malgré les Arrêtés préfectoraux de restriction d’usage ?

Ce n’est pas faute d’avoir alerté autant que faire ce peut. Je suis très pessimiste pour un avenir qui s’annonce dramatique.

Jean-Pierre Hérold, SOS Loue et Rivières Comtoises

RETOUR SUR LES MALHEURS DE LA LOUE

La Loue est une rivière issue d’un système karstique remarquable  et complexe dans la zone des plateaux calcaires du département du Doubs, dans l’espace jurassien. Son bassin versant au total recouvre 1160 km2. Les pertes de la rivière Doubs dans les réseaux souterrains au niveau de la commune d’Arçon sont, au moins en partie, à l’origine de la célèbre résurgence de la source de la Loue.

Ces particularités ont été découvertes lorsque les usines Pernod de Pontarlier brûlèrent, après avoir été frappées par la foudre le 11 août 1901. Ces établissements fabriquant de l’absinthe hautement inflammable, les pompiers déversèrent dans un puits perdu 600 000 litres du spiritueux. Le surlendemain, on retrouva des traces d’absinthe et de colorant jaune doré aux reflets verts dans la Loue. 202

Ultérieurement des traçages utilisant un colorant, la fluorescéine, permirent aux hydrogéologues Francs-Comtois de préciser le bassin versant de la Loue : il s’étend de Levier jusqu’au site du château de Joux au pied duquel se perd une partie de l’eau d’une rivière, la Morte. Circulant dans le système karstique profond, cette eau passe même sous le cours du Doubs et rejoint la Loue. Or le Doubs est en assec de plus en plus souvent dans le secteur des pertes bien connues. Les eaux provenant de la station d’épuration de Pontarlier ruissellent alors en sous-terrain jusqu’à la vallée de la Loue.

Reste que la source de la Loue est célèbre par son porche grandiose qui a été peint par Gustave Courbet et bien d’autres artistes comtois, c’est un symbole régional. 

Source de la Loue

La haute Loue de Mouthier à l’amont d’Ornans coule dans une vallée encaissée où la température de l’eau est relativement  basse même en période estivale : entre 12 et 14°C et toujours inférieure à 18°C. En revanche, dès l’aval d’Ornans on note des températures qui dépassent 20°C et qui atteignent 26°C en période de canicule dans le secteur de Quingey et de la basse Loue. Cette situation n’est plus favorable aux poissons exigeant des eaux fraîches, comme la Truite et l’Ombre, qui se déplacent alors vers l’amont ou disparaissent.  On observe aussi la remontée d’espèces moins dépendantes de la température comme le Chevaine et le Hotu.

La Loue recouverte d’algues à Cademène – juin 2023

L’eutrophisation de la rivière pénalise la reproduction et la croissance des espèces typiques de cette partie de la Loue en colmatant les frayères avec des algues cyanophycées et chlorophycées, et en conséquence réduisent la productivité biologique.  L’ensemble des pollutions d’origine anthropique : azote, phosphore, pesticides… contribue à cette évolution néfaste et perturbe le cycle naturel d’une chaîne alimentaire  équilibrée et performante, qui était la marque de qualité de cette rivière. Un « chalk streem » selon les auteurs anglo-saxons, une rivière aux eaux calcaires qui peut donner des rendements de 400 kg par hectare de poissons et des populations d’invertébrés abondantes et diversifiées. 

Ephémères, trichoptères et plécoptères selon les périodes d’éclosion émergeaient par dizaine de milliers voir par millions d’adultes ou imagos qui vont se reproduire et pondre puis forment une biocénose équilibrée. 

Cependant une segmentation du cours de la rivière par les barrages limite les possibilités de migration des espèces et favorise le réchauffement dans les retenues des 47 barrages sur les 125 km du cours d’eau. De nombreuses industries profitaient de cette énergie de l’eau maîtrisée : moulins, forges, grandes roues et turbines, il en reste très peu en activité. Mais les biefs subsistent avec leurs barrages plus ou moins entretenus. Les droits d’eau anciens sont toutefois encore valables.

Des travaux récents tentent de rétablir la continuité écologique nécessaire à la survie d’une espèce de poisson emblématique comme l’Apron, endémique de la Loue, classé sur la liste rouge des espèces en danger de disparition.  La construction de plusieurs  passes à poissons doit permettre de reconnecter des populations isolées pour favoriser leur reproduction. Un plan national d’action : PNA 2020-2030 doit contribuer à cet objectif. Est-ce un projet utopique ? La dérive climatique, un paramètre non maîtrisable actuellement, est déterminant pour l’avenir !  

Des investissements lourds tentent de rétablir la « trame verte et bleue »  la continuité de circulation des espèces aquatiques et des sédiments lors des crues et des étiages.

Les ouvrages de franchissement profiteront aussi aux autres espèces. Des financements importants de l’ordre de 400 000 euros par chantier ont été réunis. À Quingey et à Chenecey ces travaux sont terminés comme à Rurey ou une dérivation artificielle de la rivière contourne le barrage de la centrale EDF et fonctionne avec un système de nasse qui permet de comptabiliser les passages des poissons anadromes. 

En basse Loue, un projet de restauration écologique du lit majeur est cité en exemple par le guide méthodologique du Grenelle, concernant la trame verte et bleue. Il vise à restaurer un espace de mobilité fonctionnel, « fuseau de divagation », mesurant jusqu’à 1 km de large de part et d’autre du lit mineur afin que la rivière puisse retrouver un comportement hydro-morphologique et écologique plus libre.  Dans ce cadre, les digues de protections de berges  construites dans les années 1960 pour « réguler » les crues devraient être supprimées à terme pour restaurer les processus hydrodynamiques naturels, érosion et dépôts.  Entre le pont de Belmont et le pont de Parcey, soit environ 10 km, cet   « espace de liberté » a été proposé par l’ancien Contrat de rivière et accepté par les partenaires multiples de la gestion de la basse vallée malgré le morcellement du cadastre et l’opposition de certains agriculteurs.

Bien que classé cours d’eau de première catégorie à dominante salmonicole et considérée comme bénéficiant d’une bonne qualité de l’eau (sur la base des paramètres classiquement mesurés), la Loue subit depuis 2009/2010  une « pollution catastrophique » d’origine inconnue : mortalités piscicoles de Truites et Ombres et raréfaction des Chabots et Loches franches constatées dès l’aval de Lods .

Ces épisodes de mortalité se reproduisent plus ou moins violents au fil des années. Des ONG et des Associations de pêcheurs accusent les conséquences des « rejets d’élevages bovins et porcins et des eaux usées urbaines ». Les experts abandonnent la piste de la responsabilité des cyanobactéries tout en considérant qu’elles peuvent être un bio indicateur de dysfonctionnement écologique de la Loue. Ils notent des taux trop élevés de phosphore et de nitrates dont ils demandent « à ce que soient identifiées au plus vite les principales sources (…) afin de prendre des mesures adaptées pour les maîtriser »

CONCLUSION

Photo Archive d’une Frayère dans la Loue. Cette photo date d’avant 2009. Elle illustre ce à quoi devrait ressembler le fond d’une rivière karstique en réel bon état.

De la Loue glorieuse des années 1970 reconnue et célébrée par tout un monde halieutique et artistique  on est passé en quarante ans à une rivière malade, qui a perdu son attractivité internationale et  son économie liée au tourisme pêche.

Des scientifiques, des experts, des administrations, des collectivités territoriales des syndicats, des associations se retrouvent  sous la présidence du Préfet  dans une Conférence Loue qui fait le  diagnostic et propose des mesures :  la maladie est multifactorielle et la guérison demandera beaucoup de temps !

Des plans d’action sont à l’étude, les idées avancent, mais les faits sont tenaces et les  dystrophies persistent.  Un plan « rivières karstiques » a été lancé par le Préfet, il a réuni toutes les Administrations qui doivent proposer des actions concrètes. 

A Ornans la cité de caractère avec ses maisons qui dominent la Loue, c’est le Musée Gustave Courbet qui attire les touristes, et non plus le Musée de l’eau et de la pêche fermé depuis plus de dix ans et abandonné. C’est le signe de la dérive de la qualité de la rivière qui a perdu son renom de parcours exceptionnel pour ses Truites et ses Ombres. Il était connu dans toute l’Europe.

La basse vallée déformée par les travaux de rectification n’est plus qu’un lit mineur qui subit une érosion régressive, conséquence de la baisse du niveau de la nappe phréatique. Canicules et sécheresses dégradent encore la situation. 

Les malheurs de la Loue ne sont pas terminés, mais qui peut proposer la solution pour un retour aux années glorieuses ?