Des paroles aux actes : quand le SAGE vivra-t-il vraiment ?

Dans une vidéo diffusée fin 2023 sur la chaîne YouTube de EAU TV, Philippe ALPY, président de l’EPAGE (Établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau) Haut-Doubs Haute-Loue, explique « comment le SAGE (Schéma d’aménagement et de gestion des eaux) permet d’assurer le partage du diagnostic des problématiques de qualité et de quantité d’eau sur le territoire karstique et deproposer des mesures réglementaires de protection complétées par des actions des différents acteurs».

Le collectif SOS Loue et Rivières Comtoises est présent au sein de la CLE (Commission Locale de l’eau) depuis plusieurs années et en assure désormais la vice-présidence depuis 2022. Or nos demandes en termes d’animation, notamment par la création de commissions dédiées à l’agriculture et à l’assainissement, restent lettre morte. Quand les actes seront-ils en accord avec les paroles ? La question est posée.

Voici la vidéo et ci-dessous notre analyse

Un Constat Partagé, mais des résultats pas à la hauteur

Philippe Alpy présente un tableau conforme de la situation : rappel des diagnostics successifs, résultats des études scientifiques réalisées depuis les constats de fortes mortalités de la période 2009-2010 et articulation des procédures entreprises autour du SAGE. Dans notre région, il faut noter que les rivières et les milieux aquatiques sont fortement impactés par les activités humaines, dans un contexte particulier : la croissance démographique liée à la proximité de la Suisse (frontaliers) et intensification de l’élevage pour la production du comté.

Dans son propos, M. Alpy fait état des 3 études scientifiques terminées ou en cours : flux admissibles, conséquences du réchauffement climatique sur la ressource en eau et Nutri-Karst. Ces études n’ont fait que confirmer les constats qui sont connus depuis 15 ans : l’origine multifactorielle impliquant, dans le désordre, les atteintes à la morphologie, l’assainissement insuffisant, l’utilisation des insecticides en forêt, des pollutions industrielles diffuses, l’usage des pesticides en agriculture et l’excès de nitrates et phosphates provenant de l’intensification de certaines pratiques agricoles. On sait désormais aussi que le dérèglement climatique accentue les phénomènes.

Concernant les solutions, depuis 15 ans il y a eu quelques actions : travaux de renaturation du Drugeon, réhabilitation des tourbières et, pour les effluents d’élevage, plans d’épandage et mise aux normes des exploitations agricoles. Mais il faut être lucide : ce qui a été fait n’a pas été à la hauteur des dégradations de la situation pour inverser la tendance. Les poissons continuent de mourir massivement dans des rivières dont certaines, de manière totalement incompréhensible, restent pourtant classées officiellement en « bon état écologique ».

La participation de tous ?

Philippe Alpy rappelle la nécessité de la participation de tous les acteurs pour faire face aux enjeux  : élus, pêcheurs, associations environnementales, acteurs économiques. Les pêcheurs et les associations environnementales sont déjà convaincus de l’urgence depuis plusieurs décennies. Il resterait donc à convaincre les autres.

Les élus ont sans doute pris conscience de la fragilité des territoires karstiques. Mais ils sont en face d’administrations qui répercutent le manque d’ambitions du gouvernement en matière de transition écologique. Ainsi, les moyens de l’Agence de l’eau restent notoirement insuffisants pour améliorer les réseaux d’assainissement et le fonctionnement des stations d’épuration. Cela conduit à un manque de dynamisme global des collectivités en la matière qui est très préjudiciable aux milieux naturels.

Avec la succession des sécheresses et des canicules, le monde agricole, de son côté, est aux premières loges pour observer les conséquences du dérèglement climatique. La filière comté constate déjà, certaines années, la diminution de la ressource fourragère et pourtant le CIGC reste sur une logique de croissance, et ce même si les objectifs de production ont été réduits récemment et temporairement de 4 %.

Notons au passage que, contrairement à ce que prétendent certains syndicats agricoles dans les mouvements de protestation actuels, les mécanismes de régulation et de maîtrise de la production – système AOP comté par exemple – vont bien dans le sens d’une meilleure rémunération des petits producteurs. Ce sont les accords de libre échange, les profits excessifs des industries agro-alimentaires et les pratiques de la grande distribution qui plombent les revenus des agriculteurs.

Un SAGE efficace nécessite du temps d’animation en quantité et en qualité !

Alors comment sortir du déni et mettre tout le monde autour de la table et que cela aboutisse à des actions concrètes, et non pas de simples nouvelles études ou de simples parlottes ? Il faudrait aboutir à une sorte de « plan Marshall » de l’eau, avec des actions simultanées et conséquentes sur toutes les causes : la morphologie des rivières, l’assainissement et les épandages agricoles.

C’est toute la question de l’animation du SAGE ! Or c’est là que le bât blesse dans notre région. Au séminaire des SAGE à Lille en 2023, nous avons pu constater qu’en termes d’animations, la Franche-Comté est très en dessous de ce qu’il est possible de faire. En effet, des structures de gestion de l’eau dans d’autres régions de France, passent beaucoup plus de temps et s’investissent bien davantage dans ce travail d’information, d’animation et de concertation, en direction des élus, des acteurs économiques et de tous les citoyens. 

De là à dire que les franc-comtois accordent moins d’importance à la protection des rivières que le reste de la France, il n’y aurait qu’un pas. Abstenons-nous de le franchir et retroussons-nous les manches pour agir maintenant.