Les truites franc-comtoises broient du noir

Des fonds noirs tachés de blancs ? Les pêcheurs savent bien de quoi il s’agit. Mais tout le monde ne maîtrise pas le cycle de reproduction de la truite ! Alors, on a demandé à Patrice Malavaux de nous expliquer tout ça en 3 lignes (bon, il n’a pas réussi à tenir en 3 lignes mais en 5 minutes, vous aurez tout compris et vous saurez pourquoi, les fonds sales font broyer du noir aux poissons franc-comtois)

ou Saison des amours : Pourquoi il vaut mieux ne pas être une truite (surtout en Franche Comté !)

Les truites de nos rivières ne se reproduisent qu’une fois par an : Après avoir maturé leurs œufs pendant presque une année entière, la période de reproduction s’étale de la mi-novembre jusqu’aux environs de Noël. En temps normal, la truite nettoie le fond et creuse des alvéoles dans les graviers dans lesquels elle va déposer ses œufs que le mâle viendra féconder. On reconnait une frayère au fond de la rivière fraîchement gratté et légèrement remodelé. Les œufs incuberont ainsi dans la protection de ces alvéoles pendant plusieurs mois jusqu’à l’éclosion au printemps. Un vrai petit miracle au milieu des grands froids et des crues hivernales !

Le cycle de reproduction de la truite

Cette première étape n’est déjà pas de tout repos, puisque ces ébats, loin d’être une partie de plaisir se déroulent dans une jungle aquatique où c’est la loi du plus fort qui l’emporte en matière du choix du ou des partenaires, ainsi qu’au niveau de l’obtention des meilleures places. Le tout se passe dans un immense remue-ménage où chacun essaye de faire sa place à grands coups de menaces et de mordillements, tout en restant vigilants aux attaques des prédateurs puisque pour se reproduire les truites s’aventurent en terrain découvert alors que tout le restant de leur vie elles ne sortent que rarement de sous leur caillou favori…

Après cela, elles ressortent bien amochées et amaigries de près du quart de leur poids, il leur reste à se refaire une santé avant de recommencer l’année d’après… Ainsi va la vie des truites qui peuvent normalement accomplir ce cycle pendant plus d’une dizaine d’années tout en devenant de gros et magnifiques poissons de plusieurs kilos ! Mais tout cela, c’est quand tout va bien.

Malheureusement en Franche Comté, c’est encore plus compliqué… Comme vous l’avez lu plus haut, la première étape de la reproduction des truites, aussi appelée la fraye, consiste à nettoyer le fond, car en bonne mère qu’elle est, il tient à cœur de la truite de déposer ses œufs dans un substrat propre. Et c’est là que le problème se pose : En effet, l’une des premières conséquences de la pollution de nos rivières est un colmatage des fonds. Au lieu d’un gravier propre et clair que nos truites n’auraient qu’à balayer rapidement du bout des nageoires, elles se retrouvent à devoir s’acharner à désincruster une véritable croûte d’algues et de sédiments noirs et nauséabonds, saturés de matières en décomposition et d’un cocktail infini de polluants divers et variés ! Dans une rivière saine, on ne devrait pratiquement pas distinguer une frayère grattée du reste du fond qui devrait pratiquement être aussi propre… Mais jugez plutôt par vous-même la situation telle qu’on peut désormais la voir dans nos rivières…

Frayères que l’on distingue facilement : en blanc sur fond noir…

Et comme la nature n’avait pas prévu ça, il en résulte que cette opération de nettoyage se solde le plus souvent pour nos truites par des nageoires complètement délabrées, et des plaies profondes sur la peau dans lesquelles le bouillon de culture dans lequel elles ont gratté va pouvoir pénétrer. C’est la double peine. Et comme la loi de la jungle ne s’arrête pas là, il existe dans l’eau des multitudes de microbes, parasites et champignons qui n’attendent que des poissons blessés ou affaiblis pour passer à l’attaque, nos truites sont une cible toute trouvée. Il en est ainsi de la saprolégniose, la désormais tristement célèbre maladie des taches blanches, qui se tenait discrètement à l’état latent dans nos rivières depuis des millénaires.

La pollution de nos rivières et l’affaiblissement des truites l’a fait exploser depuis maintenant une douzaine d’années dans toutes les rivières de Franche-Comté. D’abord la Loue, le Doubs, puis le Dessoubre et finalement dans pratiquement tous les cours d’eau, elle est responsable de l’effondrement des populations de truites et même des ombres, un autre salmonidé qui subit le même sort !

Salmonidés touchés par la saprolegniose

Pire encore : dans les années 2010, les épisodes de maladie arrivaient quelques petites semaines après la fin de la période de reproduction, plutôt en janvier. Mais depuis 2022, la situation est telle que les poissons tombent malades alors qu’ils sont encore sur les frayères, augmentant encore le processus de propagation de la maladie ! On retrouve des truites mycosées mortes qui n’ont même pas eu le temps de pondre.

Truite mycosée morte, remplie de ces oeuf

De même, on constate que les géniteurs atteints de la saprolégnia sont de plus en plus petits. Ainsi au lieu de vivre une quinzaine d’années nos truites meurent au bout de la deuxième ou troisième fois qu’ils se reproduisent.

C’est le grand paradoxe de la vie de nos truites : A la période qui devrait contribuer à la multiplication de l’espèce, on assiste désormais chaque année un peu plus à son anéantissement.

vidéo des Frayères en 2020, Suite