Lettre d’un Cantalou aux Comtois

Le dimanche 4 octobre 2020, le Progrès du Jura faisait sa Une sur les liens possibles entre comté et pollution des rivières. Le dossier complet est accessible aux abonnés en suivant ce lien « Pourquoi le Comté est accusé de polluer les rivières »

Cette Une a fait parler d’elle au delà de la région. C’est ainsi qu’un Cantalou, amoureux des rivières, nous a livré un témoignage et nous a donné l’autorisation de le reproduire ci-dessous.

Un pont entre Cantal et Franche-Comté

« Juste pour resituer le débat de l’élevage dans des zones AOP comme le Comté. 

Je suis un Cantalou de 58 ans qui tient un magasin de pêche au bord de l’eau situé dans l’AOP du St Nectaire. Mes copains d’enfances avec qui je partais aux grenouilles, aux escargots, aux mousserons, et rosés des prés, chasser des lièvres, des perdrix, des alouettes, des grives, pêcher des truites et des fritures de vairons ont maintenant repris les exploitations des grands parents, puis des parents. 

En 40 ans on est passé de fermes de 30 hect où les gens vivaient en autarcie en élevant une dizaines de Salers ou d’ Aubrac, quelques lapins, poulets, cochons, pigeons .. , un potager, des céréales et un peu de maïs et quelques fruitiers à des exploitation isolées de 100/150 hect avec une centaines de Prim’holstein ou Montbéliardes qui donnent leur 30 litres journaliers transformer à 90% par des laiteries en St Nectaire, Cantal et aux Bleus. Ajoutez quelques Salers pour animer les foires, les montées aux estives et autres Comices Agricoles. 

Aujourd’hui, il n’y a plus de potager, plus de fruitier, plus de céréales, plus de cochon, plus de lapin, plus d’alouette, plus de truite … les zones humides et les prés ont été drainés, les mares ont été comblées, les haies et les arbres arrachés car il a fallu produire toujours plus de fourrage pour tenir un cahier des charges imposant 90% de foin local. 

Nous sommes passés de 1 million de fromages en 1970 à 5 millions en 2010 sans ajouter un seul hectare ! Mon département compte 140 000 habitants et 498 000 bovins ! Il en résulte en production de fumier ou lisier colossale qui se retrouve épandue en général près des exploitations, quelques fois sur la même parcelle, souvent dans la vallée où coule toujours un ruisseau ou une rivière. On retrouve dans les déjections des produits pharmaceutiques tels que l’Ivermectine (anti-parasitaire) qui tuent tous les êtres vivants sur terre ou dans l’eau pendant 10 ans. Les vétérinaires du département tirent la sonnette d’alarme, ils s’inquiètent de la disparition des insectes coprophages (qui mangent les bouses), les pêcheurs ont vu disparaître les populations d’insectes aquatiques pour les chasseurs se sont les cailles des blés, les perdrix grises et rouges, les alouettes qui se sont définitivement envolées. 

Mon pays a changé aujourd’hui, aussi loin que mes yeux portent je ne vois que des prairies sans fin, vident de tout, rasées régulièrement, sans fleur, sans odeur. Mes copains d’enfance sont toujours là, ils s’en sortent plutôt bien mais ils restent solidaires avec la profession. Ils ne voient pas réellement comment ils pourraient changer d’autant que l’intersyndicale du St Nectaire espère 500 000 litres de lait supplémentaire d’ici à 2022 ! Ils sont majoritairement à la FNSEA et ils sont soutenus par la chambre d’agriculture et les élus du département qui portent la filière. Malheureusement, les sécheresses mettent à mal la production de fourrages et la qualité de l’eau des ruisseaux, il faut donc acheter du foin à Montpellier, de la luzerne en Espagne, des aliments chez Limagrain ou Chouvy et se brancher au réseau d’eau potable à 1€ le mètre cube pour 10 vaches par jour. Chaque été, les principaux lacs d’Auvergne (Pavin, Guery, Chambon..) voient exposer les cyanobactéries qui interdisent à la baignade et la consommation des poissons. Certains captages pollués sont fermés. Les riverains, les commerçants, les touristes commencent à râler. Est ce que ce fromage n’aurait pas tué nos montagnes ? C’est ce que disent tous les scientifiques locaux depuis plusieurs années. Le journal local « La Montagne » relaye l’information et les élus ont le  » cul  » entre 2 chaises. 

En bref, le constat qu’a mis en avant le collectif Sos-Loue Rivières Comtoises est qu’il est urgent de protéger les bords de nos rivières et lacs des épandages dans les zones d’AOP fromagères et de réfléchir rapidement à la limitation de la production, diversifier les cultures, aménager les exploitations tout en maintenant la rémunération des acteurs. 

Voilà merci pour votre patience !

Jérôme »

2 réflexions sur “Lettre d’un Cantalou aux Comtois”

  1. je suis né dans une ferme du Jura, ai vécu 17 ans, mes 2 frères ont continué la ferme familiale. ce que vous écrivez est très juste ! en 20 ans la vie a énormément changée, pour tout le monde, et pas toujours en bien !

  2. Bonjour,
    je suis fermière dans la Mayenne ,je produis des desserts lactés en agriculture biologique, à partir du lait de mes trente vaches normandes ,j’en vis ainsi que mes deux employées de mon village .
    J’ai connu la campagne au lieu-dit dressondeix à Egliseneuve d’entraigues et j’ai parfaitement connu tout ce que vous décrivez: quelle surprise ,lors d’un séjour à chambon ,de découvrir à St-nectaire même ,que le fromage était essentiellement fabriqué avec du lait de Montbéliarde ,j’avais alors par curiosité ,été voir sur le site de la pac ,combien cette ferme recevait de subventions pour cette tromperie: pas étonnant que toutes les activités du village lui appartenaient,quel gâchis !
    Par contre ,l ‘animateur de notre séjour ,qui était de Besses nous a informé qu ‘il y a un renouveau de NIMA (non issu du milieu agricole)qui peuplent discrètement les montagnes et pratiquent une agriculture totalement raisonnée…

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