Lisier d’hiver, hécatombe dans les rivières

Janvier 2021, la Loue se meurt encore et encore

Un bilan de fin d’année au bord de la LOUE

Texte par JP Herold – Décembre 2020

L’été est passé, ainsi va le temps au Pays de Courbet, avec une canicule de plus ,

  • Le vin est dans les tonneaux à Vuillafans, l’année a été bonne.
  • Les pommes sont au fruitier, « y’a eu du butin ».
  • Les touristes sont venus nombreux au musée Courbet à Ornans.
  • Les épandages pour vider les cuves de lisier sont terminés sur le plateau,
  • Le beau temps a facilité les « travaux des champs »
  • L’eau du ciel va rincer tout cela.
  • L’hiver se prépare, on a rentré les bêtes à l’étable.
  • Les premières neiges sont là.

Dans la rivière quelques places de frai des truites étaient visibles mais rares : taches claires au milieu d’un fond  brun-vert ou noir ! 

Doubs Franco-Suisse Décembre 2020

Mais sur le fond colmaté et compact, les truites ont du mal à faire leur place, elles se sont blessées,  et des poissons couverts de « mousse »   sont encore visibles dans les remous, ils sont TOUS condamnés à  MORT !

La crue d’automne tardive a entraîné les algues et les croûtes qui se décollent  et bientôt on y verra plus rien…..  donc : tout va bien !  RAS, circulez !

Pourquoi tous les ans recommence ce cycle mortifère  ?

 Des algues qui prolifèrent par centaines de tonnes, le fond qui est colmaté, les invertébrés qui sont asphyxiés, toute la faune qui disparaît. La rivière se meurt !

Elle est trop bien nourrie, on appelle cela l’eutrophisation ou surabondance d’aliments qui débouche sur la dystrophie ou maladie,  c’est grave ?  

               Un régime est-il possible ?  oui…..mais…

Mais revenons à des données objectives

Quelques chiffres pour clarifier le débat sur les nitrates. Ces données proviennent de la station de prélèvement des eaux  de la Loue (AEP)  de la station de Chenecey qui alimente la ville de Besançon. Plusieurs analyses par semaine, toute l’année.

 Résultats

  • un étiage de longue durée pendant l’été, la concentration moyenne  de l’ordre de  5 mg/l  entre le mois d’avril et le mois d’octobre,
  • un épisode pluvieux en automne :  pic de nitrate  à 17 mg/l  ;  période correspondant aussi  à la « fumure » des terres d’élevage : épandage de lisier et fumier 
  •  Les  flux de nitrates dans la rivière:
    1.   à 5 mg/l pour un débit d’étiage de la rivière de 10 m3/s :
      •  le calcul  donne :  sur   5g/m3   soit    5 x 10 m3 /s  soit   sur  3600 s    =  180000 g/heure  =  180 kg/h
      •  sur   24 heures   4320 kg    soit plus de : 4  tonnes 
    2.  à 17mg/ l  soit 17g/m3    pour un débit de crue de 100m3/s :   
      •   soit   1,7kg x 3600 s =  6050kg/h  = 6 tonnes par heure
      •    sur  24 heures  plus de  :  145 tonnes

Ces résultats sont bien connus depuis des années !      

Cela représente sur une année  une perte énorme  d’engrais potentiel pour la profession agricole : donc une perte financière qui devrait être insupportable ! mais tout le monde s’en accommode !!     par ignorance ou  par habitude ? 

                 Il faut leur dire que leur argent part à vau l’eau…. 

 Et que les spécialistes ne nous disent pas que c’est normal, qu’il y a toujours « fuite d’azote » des surfaces  toujours en herbe (un peu)  et des surfaces cultivées (beaucoup)  ;  c’est vrai  mais les chiffres admis sont de l’ordre  de 3mg/l de nitrates pour une rivière en bon état comme l’aval de la source du Doubs à Mouthe,  ou les valeurs notées par J. Verneaux en 1970 dans la Loue.

Alors que devient cet engrais pour la flore aquatique ?

Il  provoque la croissance et la prolifération des algues  :

  • Vaucheria en amont qui préfère les températures basses (12-15°C)
  •  Cladophora plus en aval,  qui préfère des températures supérieures ,  
  • des Cyanophycées  comme Oscillatoria potentiellement toxique        
  • le cortège des plantes à fleurs, Renoncules
  • des Bryophytes , Fontinalis, quand elles ne sont pas étouffées par les algues.

En fin de cycle végétatif cette masse énorme de matière organique est évaluée à 20 tonnes par hectare.

Loue – Janvier 2021

Commence alors le  processus de dégradation, fermentation  qui entraîne dans les secteurs d’eau peu courante l’apparition de zones anoxiques donc des milieux réducteurs totalement abiotiques. (= SANS VIE)

  Une des conséquences est le colmatage des fonds donc : 

  • la microfaune (larves diverses, crustacés…) réduite en diversité et en abondance
  • les frayères impraticables, surtout si il n’y a pas ou peu de crue.

Pourtant une prise de conscience semble se faire jour et des mesures ont été prises par les multiples acteurs concernés par ces problèmes : 

 Par exemple : 

  • la mise aux normes progressive des stockages de lisier sur une durée de 4 à 5 mois, ce qui devrait réduire puis supprimer l’épandage hors période de croissance végétale.
  • ou encore le contrôle des STEP et leur amélioration par adjonction de traitement tertiaire : lagunage, lit à macrophytes….
  • et aussi l’amélioration du fonctionnement des ICPE, Installations classées pour l’environnement  (comme les traitement du bois).

Les résultats ne sont pas visibles, le seront-ils dans les années à venir ? Ou faut-il passer à une autre échelle et prendre des mesures plus fermes et généralisées  qui est la seule option efficace…. des actions concrètes doivent être menées en direction des sources de pollutions connues, une hiérarchie dans les urgences peut être définie rapidement si la volonté existe !

Pour la Loue, le Contrat de rivière a mobilisé 42 millions d’euros dans les années passées, il a permis des travaux hydrauliques et de gestion de barrages et des rives, mais n’a eu aucun effet sur la qualité de l’eau comme le prouve les mortalités récurrentes de poissons et la chute des populations de la faune d’invertébrés.

 Actuellement

  • L’ EPTB   http://www.eaudoubsloue.fr/
  • L’ EPAGE  https://www.facebook.com/EPAGEHDHL/ créé en janvier 2019, le Syndicat Mixte Haut-Doubs Haute-Loue, a été labellisé EPAGE fin 2019, il a en charge la gestion de l’eau et des milieux aquatiques  à l’échelle du bassin versant du Haut-Doubs et de la Haute-Loue.

Les structures administratives existent donc,  il reste à concrétiser les actions pour obtenir des résultats !

Est-ce possible ?

3 réflexions sur “Lisier d’hiver, hécatombe dans les rivières”

  1. Quand va-t-on interdire définitivement les fosses à lisier ?
    On sait que ce produit « coup de fouet » n’a rien d’écologique, au contraire du fumier qui est un vrai engrais.
    Agriculteurs de la filière Comté, vivez plus simplement et vous ne serez pas contraint par le productivisme agricole actuel et destructeur.

  2. Que fond les politiques de la filière ?
    Un peu moins de pub et un peu plus de respect pour leur produit et ce qui est à la base de ce dernier serait preferable !
    Arretez de tuer la poule aux oeufs d’or !

  3. Tout ce qui se passe dans l’eau et au fond de l’eau est moins visible donc non prioritaire. Même problème dans le Parc National des Cevennes où les pêcheurs ont beaucoup de mal à se faire entendre. Les recherches de solutions liées à l’agriculture ou au tourisme sont des sujets tabous (troupeaux transhumants, canyoning non limité….). Par contre, nous avons de jolies panneaux, sur les ponts : rivière en bon état. Quelle hypocrisie.

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